Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'Albanie en caravane
6 août 2014

Les fresques de Voskopojë

Voskopojë. Voilà une petite merveille complétement méconnue de notre vieille Europe. J’ai découvert ce joyau sur les guides et c’est une étape que je ne veux pas manquer. Cette ancienne ville se situe à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Korcë, dans un paysage de moyenne montagne, posée sur un plateau arboré à 1 200 m d’altitude. Je suis peut-être trop pressé de rejoindre le site, et dans l’unique ligne droite d’Albanie avec une bande blanche, je me la joue albanais et double un tracteur – un vrai, avec un moteur, et pas une mule. Juste le temps de déboiter, je vois au loin un policier tout heureux de m’arrêter. Et merde ! « Pardon, désolé, pardon » et encore un petit sermon suivi d’un grand sourire libérateur. Je crois que les touristes sont désormais protégés.


Voskopjë, donc, se rejoint après une belle montée au-dessus de la plaine de Korcë. Route bitumée de frais, cela devient vraiment une habitude. Elle serpente au-dessus de gorges où les roches prennent des teintes rougeâtres, où l’on aperçoit quelques villages musulmans qui mêlent maisons de pierres traditionnelles et maisons neuves, bâtiments en construction et ruines. Il y a une étrange coutume en Albanie concernant les maisons en travaux. On y accroche souvent des peluches, ails, cornes… pour repousser le mauvais œil. Bizarre tout de même de voir des mignons petits nounours sensés apporter bonheur et prospérité, pendus par le cou, comme des condamnés à la peine capitale, dans un état lamentable, résultat des intempéries et du soleil.

Voskopojë
Paysage près de Voskopojë

 

Voskopojë est aujourd’hui un tout petit patelin de montagne immergé dans une belle forêt de sapins. Quelques maisons en pierres son éparses çà et là,  il n’y a pas de véritable centre mais une succession de petits quartiers reliés entre eux par des rues pavées de gros galets ancestraux. Impossible d’imaginer qu’au XVIIIème siècle, la ville rivalisait en nombre d’habitants avec Athènes ou Sofia. Plus de 35 000 personnes arpentaient les rues d’une cité qui a basé sa richesse sur la production de laine et de tapis exportés dans les pays voisins. Voskopjë devint au fil du temps un centre scientifique et culturel renommé. Ainsi se développa au sein de la ville un foisonnement artistique dont le résultat se vérifie avec les somptueuses fresques des nombreuses églises. On en dénombrera plus d’une vingtaine à son apogée.

Pour ne pas oublier que nous sommes bien dans les Balkans, Voskopojë était considérée comme la « jérusalem  aroumaine »… Arou quoi ? Aroumaine. Une peuplade de langue roumaine – donc latine -  implantée depuis des lustres dans plusieurs enclaves linguistiques disséminées dans les Balkans. Ils sont Valaques en Grèce, Tsintars en Serbie, tchobans en Albanie. Difficile de savoir qui parle quoi, et qui est quoi pour les simples touristes que nous sommes. Toujours est-il que cet héritage se retrouve à Voskopojë sous la forme de plusieurs églises miraculeusement préservées. Je parle de miracle parce qu’avec le déclin de la ville, irrémédiablement concurrencée et supplantée par sa voisine Korcë, elle eut à subir des destructions et pillages infligés par les armées turques puis autrichiennes. Surtout, les églises sont devenues pendant la période communiste des hangars, granges à foin, étables ou dépôts d’armes. Les dégâts furent forcément considérables, certains parlent d’une Atlantide culturelle. Sauf que, et le miracle réside ici, cette Atlantide nous donne réellement la preuve de son existence. Cet endroit n’est pas sans rappeler les monastères de Bucovine en Roumanie, autre haut-lieu de cet art de la fresque.  Plusieurs églises et un monastère sont éparpillés sur le site. D’un premier regard leur architecture est assez rustique. De tailles modestes, en pierres sèches et toits de grosses lauzes, elles ressemblent presque à d’anciennes fermes. D’aspect rectangulaire, elles se terminent par un cul de four du côté de l’abside, seul élément d’architecture religieuse. Pas de clocher sur la structure même, mais parfois séparé car rajouté plus tard, comme c’est le cas pour l’église Saint Nicolas. Il faut franchir un portique à colonnes entièrement décoré de fresques extérieures (des frères Zografi) avant de pénétrer, en descendant un perron, dans la nef. Ce léger soubassement permettant d’agrandir avec malice l’intérieur des églises, au nez et à la moustache des ottomans. Le foisonnement des fresques qui ornent chaque mur est saisissant. Nous bavardons un instant avec le pope, un monsieur à la barbe grisonnante d’un calme olympien et d’une douceur communicative.

 

Voskopojë Voskopojë

Voskopojë

Voskopojë

Voskopojë

Voskopojë
Les églises de Voskopojë


Voskopojë a un bel avenir devant elle. On dirait qu’elle est en train de parier sur le tourisme de villégiature. Plusieurs nouveaux édifices – genre gros gîte rural - sont en cours de finition et c’est fait avec bon goût, dans le respect de l’architecture traditionnelle. Les signaux sont au beau fixe. L’ancienne cité culturelle peut devenir une station d’air pur. Son superbe environnement est en tout cas une mine d’or vert… et sans doute blanc en hiver.
L’Akademia a devancé l’appel. Le restaurant/bar/hôtel situé un peu en dehors de la ville, a été parfaitement restauré. Encore un lieu plaisant pour manger un bout ou boire une bière dans le petit jardin au gazon anglais de la cour.

 

Voskopojë Voskopojë
Akademia

 

Juste un peu plus haut se trouve le monastère Saint-Jean Baptiste. Presque à l’abandon il y a quelques années encore – photos à l’appui des précédents voyageurs – il est parfaitement restauré aujourd’hui. Très discret de l’extérieur, il faut atteindre la cour intérieure en traversant un long bâtiment sans signe religieux pour voir l’église. Nous sommes seuls et le gardien du temple vient nous ouvrir la grosse porte boisée pour nous permettre d’admirer l’intérieur du lieu de culte.

 

Voskopojë

 Voskopojë

Voskopojë
Le monastère Saint-Jean Baptiste

 


Le ciel est gris aujourd’hui et on sent un peu de fraîcheur sur ce haut plateau. Face au Monastère, complétement isolée du reste du village,  on aperçoit l’église Saint Athanase. Comme pour Saint Nicolas on y accède par un portique à colonnades entièrement décoré de fresques des frères Zografi. Comme toutes les autres églises, elle semble se dissimuler dans le paysage. Bâtie en 1724 pendant la période ottomane, elle se devait de rester discrète pour ne pas faire d’ombre à l’Islam, alors religion dominante et du pouvoir. C’est sans doute pourquoi les ecclésiastiques firent appel à ces fameux artistes pour enluminer les lieux de culte. La magnificence qu’ils ne pouvaient montrer dans l’architecture, ils la développaient sur les murs. La porte de Saint Athanase étant loquée par un cadenas, je suis un peu désappointé. Venir jusqu’ici sans même pouvoir admirer les trésors qui doivent se cacher là-dedans, c’est assurément une déception. Mais je me rappelle que je suis en Albanie, que rien n’est jamais impossible. Je tire sur un crochet du cadenas, celui-ci se débloque, je pousse alors la porte en bois et… émerveillement instantané. Nous pénétrons, seuls, dans la chapelle Sixtine de l’art orthodoxe. Du sol au plafond, les murs de la nef sont entièrement décorés dans des tons à dominante bleutés. Les fenêtres latérales et celles du narthex laissent passer une lumière diffuse qui agit comme un projecteur sur les différentes scènes ou icônes de Saints.  Nous avons vraiment retrouvé l’Atlantide. Mais il nous manque un Cicérone pour nous aider à déchiffrer ces bandes dessinées de la chrétienté. Je suis autant bouleversé par la beauté magique du lieu que par le fait d’avoir la chance de les découvrir dans ces conditions, absolument seuls, comme si nous étions les inventeurs d’une grotte préhistorique. Je suis vraiment ému, presque touché par le syndrome de Stendhal. Et la présence de mes deux gosses qui s’amusent plus qu’ils n’observent n’y est pas pour rien. Je suis heureux, tellement heureux, de pouvoir leur transmettre ces instants. Je ne sais pas trop ce qu’ils en feront une fois devenus adultes, mais puissent-ils être attrapés eux-aussi par la passion de la découverte et du voyage. C’est comme si l’Albanie nous offrait un cadeau, un trophée, une médaille. Comme si elle nous remerciait ainsi de notre visite. C’est le moment qu’elle a choisi pour se mettre à nu et dévoiler ses charmes les plus intimes. La restauration est en cours, et il est temps. Les seuls autres visiteurs sont des chauves-souris dont on reconnaît les crottes sur le dallage au sol. Il est vraiment l’heure pour ce pays de reprendre en main son histoire, sa culture, son patrimoine et qu’il réussisse à le préserver des attaques du monde moderne. Sous peine de voir certains sites comme Voskopojë subir le sort des fresques romaines dans la fameuse scène du film Fellini-Roma. Quand dans la percée du métro, les archéologues découvrent la pièce d’une villa romaine entièrement recouverte de fresques, elles s’effacent instantanément sous la pression de l’air extérieur qui pénètre dans la galerie. Disparues à peine découvertes.

 

Voskopojë

Voskopojë Voskopojë

Voskopojë Voskopojë

Voskopojë Voskopojë

Voskopojë

 

Voskopojë

Voskopojë Voskopojë
L'église Saint-Athanase et ses fresques


C’est sans doute en pensant à ça, que devant une des autres églises, celle-ci bel et bien fermée, je réfrène mon envie de dévoiler mon secret aux touristes italiens qui s’agglutinent devant le portail et font plus de bruit à une dizaine, que tout Voskopojë réuni. Non, mon jugement est fait,  ils ne méritent pas de pénétrer dans Saint Athanase. Il fallait être plus discret !
Je me fais la promesse de revenir un jour avec tout le bagage utile pour comprendre enfin ce que disent ces fresques. Ou avec un vrai guide si mon érudition continue à me faire défaut.

 

Voskopojë

 

Korcë ne se donne pas immédiatement, comme nous l’avons vu avec son périphérique délabré, elle n’est pas Berat ou Gjirokastër qui dévoilent au premier coup d’œil leurs charmes ottomans. Korcë est bâtie sur une plaine. Ce n’est pas une place forte militaire. Il faut s’enfoncer dans les vieilles ruelles blotties au pied d’une colline pour entrevoir ses charmes. Ce vieux quartier se trouve de part et d’autres de la grosse cathédrale pompeuse, construite en 1992. Cet édifice marie sans véritable succès architecture traditionnelle des églises orthodoxes, avec ses grosses coupoles et ses toits de tuiles rouges et architecture néoclassique avec ses deux tours clochers qui enserrent le monumental porche d’entrée. L’intérieur, tout de marbre vêtu est froid et distant. Cela manque d’humilité, surtout comparé aux trésors de Voskopojë. Devant la cathédrale un petit gitan nous colle pour réclamer quelques sous. Louna s’étonne que nous ne donnions rien. Eternel dilemme de la mendicité des enfants. Sont-ils au « travail » pour des exploiteurs ou font-ils ça de leur propre chef, de manière indépendante ?
Le lacis de ruelles est un autre mariage, beaucoup plus réussi que la cathédrale, des différentes strates que l’histoire contemporaine a laissées à Korcë. Les pavés où ne circulent que de rares véhicules portent les pas entre des maisons basses héritées de l’empire ottomans (avec façade à encorbellement), des petites demeures rappelant les maisons saxonnes de la Roumanie – Korcë étant aussi un bastion aroumain -  et de la Middle Europa, des habitations avec quelques influences de la Grèce voisine ou évoquant quelques villages italiens, bien entendu des vieilles cases cubiques en briques délabrées et des immeubles çà et là de l’époque communiste. L’urbanisation, est tout à la fois recroquevillée dans une espace réduit mais aéré par la faible hauteur des bâtiments mais surtout par les jardins intérieurs qui espacent les habitations entre elles. Bref, il y a une sorte de douceur de vivre dans Korcë, une sorte d’esprit dolce vita à l’albanaise. Sur le boulevard de la République,  les « Champs Elysées » de la ville, où le « Tout Korcë » déambule, nous faisons une pause terrasse dans la zone piétonne. Une punkette croise un couple de vieilles personnes endimanchées.
Il y a dans la ville plusieurs musées d’importance. Korcë est considérée comme la capitale culturelle du pays. Ainsi, il y a le choix entre le musée d’archéologie, le musée national d’art médiéval qui possède la plus grande collection d’icônes d’Albanie, des petits musées privées de peinture et le musée de l’éducation. Dans  le bâtiment de ce dernier a été ouverte la première école en langue albanaise du pays, en 1887. Korcë est le berceau de la Rilindja, la renaissance culturelle albanaise. C’est à partir de ce courant qui donne au pays une conscience nationale, que les intellectuels albanais construisent les bases d’une future indépendance. Pour cela, quoi de mieux qu’une école nationale qui s’appuie sur une langue ? Ainsi, la langue albanaise unifie ses deux dialectes, guègue et tosque, dans une langue commune dont on fixera les règles linguistiques au tout début du XXème siècle. L’alphabet latin est adopté, disons par compromis, entre les partisans de l’alphabet arabe (Musulmans pour la plupart) et ceux de l’alphabet cyrillique (Orthodoxes). Tous s’accordent pour faire plonger ses racines dans l’antique Illyrie, faisant ainsi du peuple albanais le plus ancien locataire de ces terres et justifiant certaines poussées de prétentions nationalistes. Bien entendu, pour le moment, rien n’est scientifiquement prouvé. Mais les incertitudes historiques sont souvent l’occasion d’affirmation radicale.
Tout ça est bien intéressant, mais je découvre cette histoire, les fesses assises sur une chaise d’un café moderne sous un ciel qui ne pouvait qu’être d’encre. Et comme nous avons déjà bien donné dans la journée culturelle, j’ai l’intuition que mes trois partenaires n’ont pas une envie immodérée pour l’Histoire culturelle ou linguistique de l’Albanie. D’autant plus que nous avons eu au téléphone les amis que nous devons rejoindre demain du côté du lac de Shkodër, à la frontière monténégrine. Autant dire une traversée totale du pays, d’est en ouest. Mieux vaut donc se rapatrier sur le camping et commencer à se préparer pour le départ.
Mais partir sans jeter un œil  à la mosquée, pas question. En voiture, nous nous enfonçons dans le quartier ultra populaire qui s’étend autour de l’édifice musulman. C’est ici qu’il y a le bazar, ces grands marchés orientaux. Tout est clos, bien entendu, mais ces étals amassés de fer et de bois, ces déchets, papiers journaux, caisses, ces kiosques dégradés laissent deviner – et regretter de ne pas avoir vu  – l’animation quotidienne et matinale. Heureusement que nous sommes en Albanie, mais les ruelles sales et coupe-gorge ne sont pas les lieux les plus rassurants de la planète. Du coup, la mosquée, rénovée et très belle, paraît vraiment clinquante au milieu de ce quartier amoché.  

 

Korcë

Korcë

Korcë Korcë

Korcë Korcë

Korcë Korcë
Dans les rues de Korcë

Korcë Korcë
Le musée de l'éducation et statue de partisan

Korcë
La mosquée rénovée

 


Il paraît que ce n’est pas bien, étant donné la surpêche, mais ces pauvres gars sur le bord de la route qui tentent leur chance en me montrant leur poisson, je leurs dois bien un petit quelque chose. Alors, nous nous arrêtons pour acheter un Koran que je cuisinerai sur le grill pour l’ultime soirée au Peschku. Ce dernier soir, le ciel nous offre un spectacle final en apothéose au-dessus des eaux du lac. Nuages violacés et orangers se reflètent dans l’eau pendant que le soleil bascule à l’occident. Alléché par l’odeur du Koran, un énorme crabe s’invite autour de nos pieds pour quémander sa part du festin, à moins qu’il ne soit venu nous souhaiter bon voyage.

 

Lac d'Orhid

Lac d'Orhid

Lac d'Orhid
Dernier soir au camping

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Mode d'emploi
. Le blog avance par suite chronologique.

. Les chiffres entre parenthèse renvoient en bas de billet sur des explications, des lien, des cartes etc...

. En cliquant sur les photos, vous pouvez les élargir et visionner le diaporama.

. La légende s'affiche au survol de la souris sur l'image
Nos autres voyages
Retrouvez ici nos autres voyages


Ex-Yougoslavie (2013) : WEGOSLAVIE

L'Espagne Atlantique (2015) : Abécédaire de l'Espagne Atlantique
Visiteurs
Depuis la création 26 372
Publicité